Nous vivons une transition entre deux mondes et pour la traverser les rivages s'éloignent.
Cela fait des années que nous attirons l'attention sur la mutation de civilisation que nous vivons. Nous en avons précisé les contours dans plusieurs essais dont Entrer dans un monde de coopération. Une néo-RenaiSens.
Nous quittons un monde (la modernité, basée sur le progrès) qui résiste en accélérant et en accroissant son modèle : plus de croissance, plus de progrès, plus de technologie et plus d'énergie pour le créer.
Ce qui accélère les déséquilibres dans lesquels notre monde est plongé : prélèvement excessif de ressources, pollution accrue, biodiversité en chute libre, ubris économique, démographie galopante, dirigeants politiques conservateurs, etc, etc.
Alors face à ce modèle qui a perdu la raison et met en danger les espèces de la terre et laisse préfigurer un effondrement de la nôtre, un autre paradigme tente d'émerger, la RenaiSens. Cette résilience spécifique de l'être humain, qui pourrait réussir sa mue, s'il endigue sa tendance à s'autodétruire.
Autodestruction qui rappelle l'apotpose (suicide des cellules lorsqu'elles ne sentent plus utiles). A force de vouloir dominer la nature et de nous en êtres coupés, peut-être découvrons-nous que nous ne sommes plus utiles ? D'où cet imaginaire récurrent de fin du monde et d'apocalypse ?
Pour réussir cette transition, soyons vigilants aux pièges
Ainsi, aujourd'hui nous vivons l'entre-deux, la période qui se situe entre ces deux paradigmes, l'un déclinant,l'autre émergent. Et cela se nomme en sociologie, la postmodernité.
Nous descendons de plus en plus dans le creuset de l'entre-deux. Et avec la descente, la perte des repères, les retours en arrière, les replis, les conservatismes de tout bord et individuellement les burn-out, comme autant de manifestations de ce sentiment d'être perdu et coupé en deux, clivé entre deux tendances qui s'éloignent chaque année un peu plus.
Une transition clivée
Ainsi, d'un côté celles et ceux privés de sens dans les entreprises, écartelés entre leurs valeurs et les exigences de performance (modèle "orange" de la Spirale Dynamique), de l'autre, ils supportent un certain temps paradoxes et contradictions, puis, souvent à la suite d'un burn-out, quittent l'entreprise. Ils passent pour beaucoup dans le mode "vert" (de la spirale dynamique) pour retrouver du sens, renouer avec la nature, communier avec des personnes partageant leurs valeurs. Ils sont tentés par la vie néorurale, l'éco-habitat, l'habitat partagé, le "co". Ils apprécient une vie ralentie, privilégiant leur ressenti, leurs émotions, leurs états-intérieurs.
Et pendant ce temps-là, d'autres construisent le futur sur des bases technophiles (mode "jaune" de la postale dynamique) à la vitesse accrue puisqu'elle se cale sur les machines qui sont sans cesse optimisées pour partager des flux d'informations plus rapidement, ou agir instantanément, à la vitesse des connexions.
Ainsi, la majorité des acteurs qui agissent sur le présent pour élaborer notre futur commun nourrissent-ils deux versants en opposition croissante de valeurs, de modalités de fonctionnement, de rythmes biologiques, de représentation du monde, d'imaginaire.
Les uns rêvent de la Belle Verte, les autres de Star Wars.
Chacun pense détenir les clés de la Transition, mais les axes s'écartent, presque inexorablement rendant alors tendues les rencontres réunissant celles et ceux qui se reconnaissent dans le projet de transition mais qui le déclinent très différemment.
Demain doit se construire ensemble
Pourtant, les enjeux auxquels nous avons à faire face sont si importants et urgents que nous sommes "contraints" de coopérer. Ce qui signifie trouver une tierce voie, une position médiane, intermédiaire, englobante à cette séparation entre "verts" et "jaunes".
C'est alors le niveau "turquoise", holisthique, intégrateur des contradictions qui pourra permettre de concilier des réponses technologiques d'Intelligence Collectives avec une délicatesse dans la relation qui permettra de tisser ensemble, avec nos différences, le chemin vers un futur durable.
Il nous faut co-créer une troisième voie, une éco-modernité et pour ce faire apprendre le chemin exigeant vers le Turquoise (Opale pour Frédéric Laloux), concilier les oppositions, les rythmes discordants, le pragmatisme et la sagesse, la technologie et la résonance avec la nature, les valeurs de coeur et l'efficacité, l'incorporation des connaissances et l'incarnation des idéaux...
Un chemin exigeant, mais passionnant et qui peut se réaliser ensemble car c'est grâce aux frottements de la diversité, des altérités en rugosité que peut s'opérer la rencontre et le dépassement des clivages pour réussir à atteindre les berges d'une Terra Incognita accueillante.
Texte en écho à celui de notre ami Robert de Quelen sur l'éthique de la coopération et l'éthique de la responsabilité : https://buencarmino.com/2018/06/17/intelligence-collective-et-responsabilite/
Christine Marsan, 24 juin 2018